dimanche 30 novembre 2014

Tu sarcles ta conscience entre le soir et le matin

Florie Vialens tourne, joue et écrit :

http://www.florievialens.com/crbst_1.html

De Almeria

Tes yeux se ravivent comme des braises
Ils sont d'autrefois deux charbons mort
Bleus. C'est le ciel qu'on ne voit plus
Et tu fixes ta vigne,
Et tes plans de tomates
Et l'extérieur est pur, sans dire de mensonges
Reviens à la vie
Reviens
La parole absolue ne te suffira pas
C'est dans le nid des mouches
Qu'il faut chercher le vrai
Que dis-tu?
Les mots te jouent des tours
Tu sarcles ta conscience
Entre le soir et le matin

dimanche 23 novembre 2014

"Toute connaissance commence par les sentiments" : Sacré Léonard!

Celui qui s'oriente sur l'étoile ne se retourne pas.

                                La rigueur vient toujours à bout de l'obstacle.

Détourne-toi des préceptes de ceux qui spéculent sur le monde mais dont les raisons ne sont pas confirmées par l'expérience.

                                 Aucune action naturelle ne peut être abrégée.

Ne perds pas ton temps avec des recherches dont tous les résultats meurent en même temps que celui qui les a trouvés.

                                  Toute connaissance commence par les sentiments.

O vous qui spéculez sur le monde, méfiez-vous des auteurs qui ont voulu se faire les interprètes entre la nature et l'homme par leur seule imagination. N'ayez confiance qu'en ceux qui ont réfléchi à partir de l'expérience. Et souvenez-vous que les expériences peuvent être trompeuses si l'on n'y prend garde, et que là où l'on croit n'en voir qu'une, toujours la même, il y en a souvent plusieurs, très différentes.

                                   La vie bien employée est longue.

En voilà quelques uns qui méritent qu'on les appelle ainsi et pas autrement : tuyaux à nourriture, entasseurs de fiente, remplisseurs de chiottes. Par eux, rien d'autre n'apparaît au monde, aucune vertu jamais ne s'accomplit, et à la fin il ne reste d'eux que des chiottes pleines.

                                   Il est plus facile de s'opposer au début qu'à la fin.

 Il est bien piètre le disciple qui jamais ne dépasse son maître.
www.huffingtonpost.com/ross-king/da-vinci-book_b_2083835.html

Léonard de Vinci, Maximes, fables et devinettes, Traduit de l'italien et présenté par Christophe Mileschi, éd. Arléa, 2002.

dimanche 16 novembre 2014

La Romance du vin, Emile Nelligan

Emile Nelligan est un poète québécois.

A 20 ans, en 1899, il  lira publiquement ce poème, "La Romance du vin",  à l'occasion d'une réunion de l'Ecole littéraire de Montréal, ville où il est né. Quelques semaines plus tard, il sera interné et le restera jusqu'à sa mort, 42 ans plus tard, le 18 novembre 1941.


Tout se mêle en un vif éclat de gaieté verte.
Ô le beau soir de mai ! Tous les oiseaux en choeur,
http://www.sogides.com/images/produits/9782/892/951/gr_9782892951493.jpgAinsi que les espoirs naguères à mon coeur,
Modulent leur prélude à ma croisée ouverte.

Ô le beau soir de mai ! le joyeux soir de mai !
Un orgue au loin éclate en froides mélopées;
Et les rayons, ainsi que de pourpres épées,
Percent le cœur du jour qui se meurt parfumé.

Je suis gai! je suis gai ! Dans le cristal qui chante,
Verse, verse le vin! verse encore et toujours,
Que je puisse oublier la tristesse des jours,
Dans le dédain que j'ai de la foule méchante !

Je suis gai! je suis gai! Vive le vin et l'Art !...
J'ai le rêve de faire aussi des vers célèbres,
Des vers qui gémiront les musiques funèbres
Des vents d'automne au loin passant dans le brouillard.

C'est le règne du rire amer et de la rage
De se savoir poète et l'objet du mépris,
De se savoir un cœur et de n'être compris
Que par le clair de lune et les grands soirs d'orages !

Femmes ! je bois à vous qui riez du chemin
Où l'Idéal m'appelle en ouvrant ses bras roses;
Je bois à vous surtout, hommes aux fronts moroses
Qui dédaignez ma vie et repoussez ma main !

Pendant que tout l'azur s'étoile dans la gloire,
Et qu'un hymne s'entonne au renouveau doré,
Sur le jour expirant je n'ai donc pas pleuré,
Moi qui marche à tâtons dans ma jeunesse noire !

Je suis gai! je suis gai ! Vive le soir de mai !
Je suis follement gai, sans être pourtant ivre !...
Serait-ce que je suis enfin heureux de vivre ;
Enfin mon coeur est-il guéri d'avoir aimé ?

Les cloches ont chanté ; le vent du soir odore...
Et pendant que le vin ruisselle à joyeux flots,
Je suis si gai, si gai, dans mon rire sonore,
Oh ! si gai, que j'ai peur d'éclater en sanglots !


dimanche 9 novembre 2014

Catalogne, "arpent de monde, concret, localisable", en hommage à Miquel Marti I Pol

Miquel Marti I Pol, né en 1929, est mort le 11 novembre 2003 et ce 9 novembre 2014, la Catalogne envisage de devenir un "arpent de monde, concret, localisable". C'est le moment de ce souvenir de ce poète et d'envoyer des pensées positives à la Catalogne pour que sa décision soit son choix.


L'hôte insolite

Je ne dilapiderai pas le silence. Mon corps
j'en connais les parages et les raccourcis
et j'en aime les éclats et les défaillances ;
je ne l'habite pas par plaisir mais il me suffit.

Je ne dilapiderai ni le silence ni l'espace
lourd de mon corps et des projets
démesurés qui me peuplent et m'exaltent.
De mes doigts gourds de palper les mémoires
j'adhère à toutes sortes de projets
de joie et d'espérance.
Pour mieux connaître Miquel Marti I Pol : http://www.espritsnomades.com/sitelitterature/martiipol/martiipol.html

Profonde et claire,
la voix qui me répète proclame la vie.

Je ne dis pas ce que nous avons perdu.
Tu sais cela aussi bien que moi, ces vermisseaux
insistants et résolus, te le répètent
si tu prends la peine de tendre l'oreille.

Mais je te dirai ce que nous avons gagné :
un arpent de monde, concret, localisable,
et un prisme de couleurs pour le contempler.

Ferme les yeux et tu le verras comme je le vois.

Je ne dirai pas ce qu'il y a sous chaque mot.
Il a déjà plu et ce qui reste de l'après-midi
sera plus intime et plus clair.

Fuyons toute verbosité.
Disons seulement l'essentiel :
les mots grandir et aimer, et le nom
le plus utile et le plus simple de chaque chose.

Délimite mon espace, mais n'attends pas
que je renonce à ce que j'aime.

Regarde le vent prendre la forme des bégonias,
regarde-le nettoyer vitres et rideaux
aiguiser les angles vifs du crépuscule.

J'ai une pierre dans les mains.

Chaque nuit
elle tombe dans le puits profond du sommeil
au matin, je la retire, trempée de vie.

Je ne garde rien qui appelle la mémoire
du vent exaspéré et des noms du silence.
Je viens d'une longue saison de pluies sur la mer
calme des années, rien ne me pousse à me retourner.

Tu me connais, ne suis-je pas celui qui aime
la vie pleinement et par-dessus toute richesse,
l'extase et le tourment, le feu et la question.

À l'appel de la vie, je vis, et pose ma main
à plat sur ce ponant que le ponant magnifie.

Le sang coule solennellement en chaque chose.
Désormais tout est chemin. Je jure de vivre.
Tous deux ne faisons plus qu'une seule
colonne de clarté, je pense à l'urgente
nécessité de combattre les mirages,
d'abandonner la plage des heures
où le soleil de plomb tombe sur le sable
annihile les volontés, d'établir de nouveaux chemins, jalonnés de présages.

À présent, ce risque est tentant.

Nul besoin
de spectateurs furtifs, de gens qui approuvent
chaque geste et en souligne l'habileté.
Nous coupons le pain à chaque instant.

Inoffensifs
et téméraires, nous aimerons la vie
qui se transforme et se parfait, noble
et lente, noble et obstinée.

Nous irons très loin, enchaînés au pur hasard
des horizons qui jamais ne ferment
à clé la stimulation du paysage.

Traduction Patrick Gifreu
Joie de la parole, Paris, La Différence, 1993

dimanche 2 novembre 2014

Je dis tu à tous ceux qui s'aiment

Jacques Prévert (1900-1977) est mort à Omonville la Petite. On y visite sa maison, on flâne dans son jardin, on s'arrête un instant près de sa tombe, on passe par le minuscule Port Racine, avant d'aller goûter l’acoustique de l'église de Jobourg et puis ne rien perdre de La Hague...

Rappelle-toi Barbara
Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là
Et tu marchais souriante
photo FD
 

Epanouie ravie ruisselante
Sous la pluie
Rappelle-toi Barbara

Il pleuvait sans cesse sur Brest
Et je t'ai croisée rue de Siam
Tu souriais
Et moi je souriais de même
Rappelle-toi Barbara
Toi que je ne connaissais pas
Toi qui ne me connaissais pas
Rappelle-toi
Rappelle toi quand même ce jour-là 

N'oublie pas
Un homme sous un porche s'abritait
Et il a crié ton nom
Barbara
Et tu as couru vers lui sous la pluie
Ruisselante ravie épanouie

Et tu t'es jetée dans ses bras
Rappelle-toi cela Barbara
Et ne m'en veux pas si je te tutoie
Je dis tu à tous ceux que j'aime
Même si je ne les ai vus qu'une seule fois
Je dis tu à tous ceux qui s'aiment
Même si je ne les connais pas
Rappelle-toi Barbara
N'oublie pas
Cette pluie sage et heureuse
Sur ton visage heureux 

Sur cette ville heureuse
Cette pluie sur la mer
Sur l'arsenal
Sur le bateau d'Ouessant
Oh Barbara
Quelle connerie la guerre
Qu'es-tu devenue maintenant
Sous cette pluie de fer
De feu d'acier de sang
Et celui qui te serrait dans ses bras
Amoureusement
Est-il mort disparu ou bien encore vivant
Oh Barbara
Il pleut sans cesse sur Brest
Comme il pleuvait avant
Mais ce n'est plus pareil et tout est abîmé
C'est une pluie de deuil terrible et désolée
Ce n'est même plus l'orage
De fer d'acier de sang
Tout simplement des nuages
Qui crèvent comme des chiens
Des chiens qui disparaissent
Au fil de l'eau sur Brest
Et vont pourrir au loin
Au loin très loin de Brest
Dont il ne reste rien.


Jacques Prévert, "Paroles", Gallimard, 1946