dimanche 28 août 2016

La vérité attend l'aurore à côté d'une bougie

Ce n'est pas pour rien si René Char (1907-1988) est présent chaque semaine en exergue de ce blog. Voici un de se poèmes, tiré des Matinaux. Ce recueil a été initialement publié en 1950.


QU'IL VIVE!
Ce pays n'est qu'un vœu de l'esprit, un contre-sépulcre.

Dans mon pays, les tendres preuves du printemps et les oiseaux mal habillés sont préférés aux buts lointains.

La vérité attend l'aurore à côté d'une bougie. Le verre de fenêtre est négligé. Qu'importe à l'attentif.

Dans mon pays, on ne questionne pas un homme ému.

Il n'y a pas d'ombre maligne sur la barque chavirée.

Bonjour à peine, est inconnu dans mon pays.
On n'emprunte que ce qui peut se rendre augmenté.
Il y a des feuilles, beaucoup de feuilles sur les arbres de mon pays. Les branches sont libres de n'avoir pas de fruits.

On ne croit pas à la bonne foi du vainqueur.

Dans mon pays, on remercie.
(René Char, Les Matinaux suivi de La Parole en archipel, Poésie Gallimard, 1969, p. 41-42)

dimanche 21 août 2016

Un amour de poney




Un amour de poney est un autre livre (voir aussi, sur ce blog, Pipo le magnifique) de Dominique François dont une étiquette portant mon nom est collée sur la première page. J'ai donc dû le lire il y a bien longtemps. Je n'en ai pas gardé le souvenir et je l'ai relu pour voir si, par hasard, quelque chose de là-bas remontait à la surface... En vain.



Un petit garçon vit avec son grand frère dans la ferme familiale. Les parents sont morts et la vie est devenue difficile. Le grand frère ne s'occupe pas vraiment de la ferme car il est sculpteur et passe l'essentiel de son temps dans la grange aménagée comme atelier.
Le petit frère a un amour de poney qui s'appelle "Mystère". Il ne va plus à l'école parce qu'il a une santé fragile et préfère être seul et à l'abri des moqueries des garçons de son âge.
Le grand frère rencontre un employé du propriétaire du château qui appartient à un homme amateur d'art et propriétaire d'une galerie à Paris. Il a une petite fille, Blanche, qui vit au château avec lui pendant que la mère prend le bon air à La Baule.
Le grand frère va tomber dans un piège et le petit sera contraint d'accepter de vendre son poney à la petite Blanche.

... Mais à force de galoper en rêvant, seul dans les champs, et de lire sous le gros noyer, le petit avait acquis une sagesse et un savoir bien au-dessus de ses onze ans.
Quant à Mystère, il était son ami, son confident, le partenaire infatigable de ses randonnées...

...Plus loin, à travers les arbres, la voix fraîche comme une source entonna une chanson :
O saint Hubert, patron des grandes chasses,
Toi qu'exaltait la fanfare au galop.
En poursuivant le gibier à la trace,
Tu le forçais sous l'élan des chevaux.
Ayant l'oreille musicale, Michel retint l'air aussitôt, mais oublia quelques paroles. Et comme la chanson s'éloignait, emportant l'espoir de connaître le visage de la chanteuse, le cavalier sauta du mur, monta à cheval et s'élança. Mystère, rassasié d'herbe fraîche, caracolait sur le sentier...

...Pour ce garçon habitué au silence, au calme des champs, les mouvements de l'âme étaient plus perceptibles que pour d'autres qui vivent dans un tourbillon de paroles et de sentiments. Il s'agissait de choisir entre son propre bonheur et celui de son frère aîné : un bonheur de petit garçon et un grand, un vrai bonheur d'homme...

dimanche 14 août 2016

Se laver à la lumière tendre

Le frère Isidore Dalla Nora (1932-2009), frère missionnaire des Campagnes, a travaillé à la restauration de l'Abbaye de Boscodon (Hautes-Alpes) comme maçon et tailleur de pierre. C'est une abbaye du 12ème siècle à proximité du lac de Serre-Ponçon. Il était poète de la nature, des pierres, de la musique et a publié quelques recueils édités par l'Abbaye. Sa poésie est simple et rafraichissante. Je l'ai découverte en visitant l'Abbaye qui vaut vraiment le détour.


 J’aime être là
Quand la lumière
se sépare de l’ombre
Quand le matin sort de la nuit.

Être là
Pour accueillir l’événement
Et regarder le monde des choses
Qui changent leur robe bleu-noir
Pour la robe transparente.

J’aime être là
Et voir naître la Beauté
Et tendre la main à cette naissance.
Alors, lentement, toutes les formes
Se détachent les unes des autres
Pour chanter la couleur
De l’heure qui passe
Vivifiant tout
Sur les crêtes du présent.

J’aime voir la terre
Se laver à la lumière tendre
Terre généreuse
Portant semences et sève nouvelles.

J’aime ce moment décisif
Où le soleil a déjà pied
Sur l’angle de sa course

Moment où l’homme au brabant
Fait une courte pause.
Sur la terre à labourer
Il lève la tête et sourit...

dimanche 7 août 2016

Ebauche d'un serpent

Je ne connais pas bien la poésie de Paul Valéry (1871-1945). Mais dans les Mémoires passionnants de Daniel Cordier, "Alias Caracalla" (folio, 2011), l'auteur, qui fut pendant la guerre le secrétaire de Jean Moulin, raconte que celui-ci aimait et connaissait par cœur des vers de Paul Valéry. Il en cite quelques uns. J'ai donc recherché ces vers que voici. Ils font partie d'un long poème sur les débuts de la Genèse, sur la tentation de la connaissance, qui est intitulé "Ébauche d'un serpent". 


Soleil, soleil !… Faute éclatante !
Toi qui masques la mort, Soleil,
Sous l’azur et l’or d’une tente
Où les fleurs tiennent leur conseil ;
Par d’impénétrables délices,
Toi, le plus fier de mes complices,
Et de mes pièges le plus haut,
Tu gardes le cœur de connaître
Que l’univers n’est qu’un défaut
Dans la pureté du Non-être !

Grand Soleil, qui sonnes l’éveil
À l’être, et de feux l’accompagnes,
Toi qui l’enfermes d’un sommeil
Trompeusement peint de campagnes,
Fauteur des fantômes joyeux
Qui rendent sujette des yeux
La présence obscure de l’âme,
Toujours le mensonge m’a plu
Que tu répands sur l’absolu,
Ô roi des ombres fait de flamme !