dimanche 6 novembre 2016

Alouette! Prends mon âme!

Federigo Tozzi (1883-1920) est un écrivain, nouvelliste, poète italien qui a notamment écrit, entre 1915 et 1917, une série de 69 fragments de proses qui ont comme point commun la présence d'un animal au cœur ou à la périphérie du récit, tantôt premier rôle, tantôt second. En réalité, ce sont presque 69 émotions que Tozzi nous présente un peu comme s'il en tenait le journal. Le premier et le dernier fragments font place à l'alouette. Ils sont l'un avec l'autre ce qui donne sens au "journal des émotions" de l'auteur. Voici le 1er fragment, pour vous inciter à découvrir par vous-mêmes les 68 autres.




Quel pourrait être le point où l'azur s'est arrêté ? Ces alouettes, qui d'abord s'y ébattent pour venir ensuite se jeter près de moi comme des folles, le savent-elles ? Fuyant, l'une d'entre elles a même rasé mes yeux, comme si elle avait pris du plaisir à se faire peur de cette façon.

Quelles clartés tranquilles par ces campagnes, qui s'étendent afin d'être mieux à leur aise! Là, quels silences, depuis l'horizon, et en moi-même!

La route pour revenir à Sienne est là. Je me mets en marche.

Que les maisons se reculent un peu, et que ce mendiant ne me tombe pas dessus. L'autre est au moins assis par terre! Mon Dieu, toutes ces maisons! Plus loin, plus loin! J'arriverai où trouver un peu de douceur!

Mon Dieu, ces maisons se jetteront sur moi! Mais une autre alouette est restée enfermée dans mon âme, et, à la recherche d'une issue, je la sens voleter en tous sens. Et je l'entends chanter.
Vers le septentrion ; où, la nuit, l'ourse se tient, là où la lune ne va jamais!

Maintenant, si moi aussi je t'aime ainsi, Ô petite alouette, cela veut dire que tu peux rester dans mon âme autant que tu le voudras ; et que tu y trouveras plus de liberté que tu n'en a vue dans l'azur. Et toi, certes, tu ne t'en iras jamais plus.

Tu ne fais pas même de l'ombre!

Nous sortons du resserré des maisons et des toits. La ville se referme toujours davantage ; les maisons sont de plus en plus vides ; et nous n'y trouverons rien pour nous.

Laissons-les, ici, ces gens qui nous mettraient moi à l'asile et toi dans une cage!

Qui tremble, tes ailes ou mon cœur ? Je crois que la mort est passée, à la recherche de sait-on qui. Oh, mais nous l'enfermerons avec les ordures, derrière l'une de ces grilles, dans une de ces ruelles sans issue! A Sienne, on trouve de ces grilles que personne n'ouvre jamais, parce qu'elles ne servent plus à rien ; au fin fond de certains jardins que personne ne cultive plus ; contre certains bâtiments inhabités.

F. Tozzi, Les Bêtes, trad Ph. Di Meo, José Corti, Biophilia, 2012

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