dimanche 25 octobre 2015

L'oubli que nous serons





Pendant que la mission se poursuit en Colombie, je souhaite vous faire part d'un très beau livre sur ce pays, sur son histoire récente, sur la vie quotidienne au milieu de la violence des années 80, sur la paternité, sur un homme et un destin qui ne laissent pas indifférent. 

Hector ABAD, "L'oubli que nous serons" trad. Albert Bensoussan, éd. Gallimard, coll. Du monde entier, 2010

L'oubli que nous serons"L'Oubli que nous serons est à la fois le récit d'un crime, la biographie d'un homme, la chronique d'une famille et l'histoire d'un pays. L'homme est un médecin colombien engagé dans le combat contre la misère et l'ignorance. Le docteur Héctor Abad Gômez enseigne à l'Université de Medellin et travaille dans les quartiers populaires de la ville. Eduqué dans la tradition des Lumières, ce libre penseur croit à la possibilité de changer la vie de ses semblables et de bâtir, grâce à la science, un avenir meilleur. Le portrait de ce père d'exception est dépeint par Abad avec une admiration et un amour tout aussi exceptionnels. Le pays est, bien entendu, la Colombie des années 1980 : une société déchirée par la violence et la guerre sans merci que se livrent les paramilitaires, l'armée, les guérilleros et le narcotrafic. L'Oubli que nous serons donne des éléments pour comprendre la genèse de cette situation, car il nous offre une fresque de l'histoire colombienne récente, ou plutôt, une chronique intime de cette histoire à travers le quotidien de la famille Abad. A travers ce dosage équilibré entre histoire publique et chronique privée, le lecteur a l'impression de découvrir les événements qui ont marqué l'histoire colombienne récente, mais de l'intérieur, tel qu'ils ont été vécus par les Colombiens. Enfin, L'Oubli que nous serons est le récit d'un crime : l'assassinat d'un juste, d'un défenseur des droits de l'homme qui n'a pas cédé à la peur ni à la menace des armes. Les pages dans lesquelles Abad raconte les derniers jours de la vie de son père et la scène de l'assassinat sont plus qu'émouvantes : elles sont d'un courage et d'une beauté extraordinaires. En effet, tout au long de ce livre, Abad peut être drôle, amusant, ou émouvant, mais ce qu'il nous raconte porte en lui une exigence de vérité qui soutient le récit, car il s'agit de narrer, de décrire, sans rien cacher de sa douleur, l'assassinat de son père, « L'oubli que nous serons » est d'ailleurs un vers d'un poème de Borges retrouvé sur le corps".

http://www.ombres-blanches.fr/litterature-traduite/litterature-espagnole/livre/l-oubli-que-nous-serons/hector-abad/9782070126026.html

dimanche 18 octobre 2015

Personne ne se souviendra de toi de par tes idées secrètes.

Un petit souvenir de Colombie où trois nantais, un bayonnais et un argentin sont en mission avec le programme Lascaux pour y parler de sécurité alimentaire, de droit des peuples indigènes, de droit économique international et des différentes manières d'ajuster l'exploitation des ressources naturelles et les besoins sociaux fondamentaux... 
Il n'est pas besoin de présenter Gabriel Garcia Marquez (1927 - 2014), l'un des colombiens les plus connus. Voici la lettre d'adieu qu'il écrivit à ses amis...

«Si pour un instant Dieu oubliait que je suis une marionnette de chiffon et m’offrait un bout de vie, je profiterais de ce temps le plus que je pourrais. Il est fort probable que je ne dirais pas tout ce que je pense, mais je penserais en définitive tout ce que je dis. J’accorderais de la valeur aux choses, non pour ce qu’elles valent, mais pour ce qu’elles signifient.
Je dormirais peu, je rêverais plus, j’entends que pour chaque minute dont nous fermons les yeux, nous perdons soixante secondes de lumière.
Je marcherais quand les autres se détendent, je me réveillerais quand les autres dorment. J’écouterais lorsque les autres parlent et… combien je savourerais une bonne glace au chocolat.
Si Dieu me faisait présent d’un bout de vie, je me vêtirais simplement, m’étalerais à plat ventre au soleil, en laissant non seulement mon corps à découvert, mais aussi mon âme.
Bon Dieu, si j’avais un cœur, j’écrirais ma haine sur la glace et attendrais que le soleil se lève. Dans un rêve de Van Gogh, je peindrais sur les étoiles un poème de Benedetti et une chanson de Serrat serait la sérénade que je dédierais à la lune. J’arroserais de mes larmes les roses, afin de sentir la douleur de leurs épines et le baiser de leurs pétales.
Bon Dieu, si j’avais un bout de vie… Je ne laisserais pas un seul jour se terminer sans dire aux gens que je les aime, que je les aime. Je persuaderais toute femme ou homme qu’ils sont mes préférés et vivrais amoureux de l’amour. Aux hommes, je prouverais combien ils sont dans l’erreur de penser qu’ils ne tombent plus amoureux en vieillissant, sans savoir qu’ils vieillissent en ne tombant plus amoureux. Aux anciens, j’apprendrais que la mort ne vient pas avec la vieillesse, mais avec l’oubli.
J’ai appris tellement de choses de vous autres, les humains… J’ai appris que tout le monde voulait vivre dans le sommet de la montagne, sans savoir que le vrai bonheur est dans la façon d’escalader. J’ai appris que lorsqu’un nouveau-né serre avec son petit poing, pour la première fois le doigt de son père, il l’a attrapé pour toujours.
J’ai appris qu’un homme a le droit de regarder un autre d’en haut seulement lorsqu’il va l’aider à se mettre debout. Dis toujours ce que tu ressens et fais ce que tu penses.
Si je savais qu’aujourd’hui c’est la dernière fois où je te vois dormir, je t’embrasserais si fort et prierais le Seigneur pour pouvoir être le gardien de ton âme. Si je savais que ce sont les derniers moments où je te vois, je dirais « je t’aime » et je ne présumerais pas, bêtement, que tu le sais déjà.
Il y a toujours un lendemain et la vie nous donne une deuxième chance pour bien faire les choses, mais si jamais je me trompe et aujourd’hui c’est tout ce qui nous reste, je voudrais te dire combien je t’aime, et que je ne t’oublierai jamais. Le demain n’est garanti pour personne, vieux ou jeune.
Aujourd’hui est peut être la dernière fois que tu vois ceux que tu aimes. Alors n’attends plus, fais-le aujourd’hui, car si demain n’arrive guère, sûrement tu regretteras le jour où tu n’as pas pris le temps d’un sourire, une étreinte, un baiser et que tu étais très occupé pour leur accorder un dernier vœu.
Maintiens ceux que tu aimes près de toi, dis leur à l’oreille combien tu as besoin d’eux, aimes-les et traite les bien, prends le temps de leur dire « je suis désolé », « pardonnez-moi », « s’il vous plait », « merci » et tous les mots d’amour que tu connais.
Personne ne se souviendra de toi de par tes idées secrètes. Demande au Seigneur la force et le savoir pour les exprimer. Prouves à tes amis et êtres chers combien ils comptent et sont importants pour toi. Il y a tellement de choses que j’ai pu apprendre de vous autres…Mais en fait, elles ne serviront pas à grande chose, car lorsque l’on devra me ranger dans cette petite valise, malheureusement, je serai mort».

dimanche 11 octobre 2015

Il y a un terrible gris de poussière dans le temps

Pierre Reverdy (1889 - 1960) est un poète singulier. Il a été associé au cubisme et aux débuts du surréalisme. Il passera les 30 dernières années de sa vie à Solesmes, dans une sorte de retraite mystique qu'il qualifiera lui-même de "pas de recul devant la vie". C'est dans les premières années de cette retraite qu'il écrira un recueil, "Source du vent", dans lequel on trouve le poème "Chemin tournant".

Chemin tournant

Il y a un terrible gris de poussière dans le temps
Un vent du sud avec de fortes ailes
Les échos sourds de l'eau dans le soir chavirant
Et dans la nuit mouillée qui jaillit du tournant
des voix rugueuses qui se plaignent
Un goût de cendre sur la langue
Un bruit d'orgue dans les sentiers
Le navire du coeur qui tangue
Tous les désastres du métier Quand les feux du désert s'éteignent un à un
Quand les yeux sont mouillés comme
des brins d'herbe
Quand la rosée descend les pieds nus sur les feuilles
Le matin à peine levé
Il y a quelqu'un qui cherche
Une adresse perdue dans le chemin caché
Les astres dérouillés et les fleurs dégringolent
A travers les branches cassées
Et le ruisseau obscur essuie ses lèvres molles à peine décollées
Quand le pas du marcheur sur le cadran qui compte
règle le mouvement et pousse l'horizon
Tous les cris sont passés tous les temps se rencontrent
Et moi je marche au ciel les yeux dans les rayons
Il y a du bruit pour rien et des noms dans ma tête
Des visages vivants
Tout ce qui s'est passé au monde
Et cette fête
Où j'ai perdu mon temps

Pierre Reverdy / Source du Vent (NRF) / 1929

dimanche 4 octobre 2015

Un aller simple sur la mer...

Solo Andata est un poème de Erri de Luca, ouvrier, poète, écrivain, traducteur italien. Cet "Aller simple" est un hommage à tous les migrants de la terre.
On peut voir sur ce poème le film réalisé par Alessandro Gassmann, musique de Daniele and Mauro Durante, produit par OH!PEN Italia : clip Solo andata

Solo Andata

Nous sommes les innombrables, redoublés à chaque case d'échiquier,
Nous pavons de squelettes votre mer pour marcher dessus;

Vous ne pouvez nous compter, une fois comptés nous augmentons
fìls de l'horizon, qui nous déverse à seaux.

Aucune police ne peut nous opprimer
plus que nous n'avons déjà été blessés.

Nous serons vos serviteurs, les enfants que vous ne faites pas,
nos vies seront vos livres d'aventures.

Nous apportons Homère et Dante, l'aveugle et le pèlerin,
l'odeur que vous avez perdue, l'égalité que vous avez soumise.

De toute distance nous arriverons, à millions de pas,
nous sommes les pieds et nous soutenons votre poids.

Nous déblayons la neige, nous lissons les prés,
nous battons les tapis, nous recueillons la tomate et l’insulte.

Nous sommes les pieds et nous connaissons le sol pas à pas,
nous sommes le rouge et le noir de la terre,

Un outremer de sandales défoncées,
le pollen et la poussière dans le vent de ce soir.

L'un de nous a dit au nom de tous:
 “Vous ne vous débarrasserez pas de moi.

D'accord, je meurs,
mais dans trois jours je ressuscite et je reviens».

Source : page facebook de Erri de Luca

Solo Andata

 Siamo gli innumerevoli, raddoppia ogni casella di scacchiera
lastrichiamo di corpi il vostro mare per camminarci sopra.

Non potete contarci, se contati aumentiamo
figli dell'orizzonte che ci rovescia a sacco.

Nessuna polizia può farci prepotenza
più di quanto già siamo stati offesi.

Faremo i servi, i figli che non fate,
le nostre vite saranno i vostri libri di avventura.

Portiamo Omero e Dante, il cieco e il pellegrino,
l'odore che perdeste, l'uguaglianza che avete sottomesso.

Da qualunque distanza arriveremo, a milioni di passi
noi siamo i piedi e vi reggiamo il peso.

Spaliamo neve, pettiniamo prati,
battiamo tappeti, raccogliamo il pomodoro e l'insulto,

Noi siamo i piedi e conosciamo il suolo passo a passo.
noi siamo il rosso e il nero della terra,

Un oltremare di sandali sfondati,
il polline e la polvere nel vento di stasera.

Uno di noi, a nome di tutti, ha detto:
“Non vi sbarazzerete di me.

Va bene, muoio,
ma in tre giorni resuscito e ritorno”.