dimanche 28 février 2016

Le rire des lèvres belles

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De temps en temps, un grand classique fait du bien... Pas besoin de présenter le poète ni l’œuvre.

Voyelles

A noir, E blanc, U vert, O bleu : voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes :
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,

Golfes d'ombre ; E, candeur des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles ;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;

U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides
Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux ;

O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges :
- O l'Oméga rayon violet de Ses Yeux !

dimanche 21 février 2016

Allez dire à la ville que je ne reviendrai pas

Pas de doute. C'est l'un des plus grands poètes français et lire un de ses poèmes est chaque fois un coup au cœur et un grand plaisir. Xavier Grall (1930-1981), journaliste, chroniqueur et surtout poète breton, est à lire sans retenue. Et dire que je n'ai rien publié de lui depuis le 4 mai 2014 avec "Solo" (voir ici). Il a écrit ce poème lorsque, vers 40 ans, il a décidé de quitter la vie parisienne pour revenir vivre dans la Bretagne qu'il rêvait.


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photo barapoemes.net

 Allez dire à la ville

Terre dure de dunes et de pluies
c'est ici que je loge
cherchez, vous ne me trouverez pas
c'est ici, c'est ici que les lézards
réinventent les menhirs
c'est ici que je m'invente
j'ai l'âge des légendes
j'ai deux mille ans
vous ne pouvez pas me connaître
je demeure dans la voix des bardes
0 rebelles, mes frères
dans les mares les méduses assassinent les algues
on ne s'invente jamais qu'au fond des querelles

Allez dire à la ville
que je ne reviendrai pas
dans mes racines je demeure
Allez dire à la ville qu'à Raguénuès et Kersidan
la mer conteste la rive
que les chardons accrochent la chair des enfants
que l'auroch bleu des marées
défonce le front des brandes

Allez dire à la ville
que c'est ici que je perdure
roulé aux temps anciens
des misaines et des haubans
Allez dire à la ville
que je ne reviendrai pas

Poètes et forbans ont même masure
les chaumes sont pleins de trésors et de rats
on ne reçoit ici que ceux qui sont en règle avec leur âme sans l'être avec la loi
les amis des grands vents
et les oiseaux perdus
Allez dire la ville
que je ne reviendrai pas

Terre dure de dunes et de pluies
pierres levées sur l'épiphanie des maïs
chemins tordus comme des croix
Cornouaille
tous les chemins vont à la mer
entre les songes des tamaris
les paradis gisent au large
Aven
Eden
ria des passeraux
on met le cap sur la lampe des auberges
les soirs sont bleus sur les ardoises de Kerdruc
O pays du sel et du lait
Allez dire à la ville
Que c'en est fini
je ne reviendrai pas
Le Verbe s'est fait voile et varech
bruyère et chapelle
rivage des Gaëls
en toi, je demeure.

Allez dire à la ville
Je ne reviendrai pas.

 La Sône des pluies et des tombes, Editions Kelenn,1976

dimanche 14 février 2016

Tshimunipan enniuian

Rita Mestokosho est une poétesse contemporaine innu. Elle est issue d'un peuple qu'on appelait avant les "Montagnais" et elle vient du nord du Québec.
Un de ses poèmes a déjà été publié le 12 octobre 2014 (voir ici).

Passage des arts_B_300_pourlesite

Tshimunipan enniuian 

Tshemuak mak anite ut assit nitinniuti
Nasht eka tshekuan mamitunenitamikuian nitishinniuti
Tshipipiteun mak anite ut e pitshitepanit, eukuan eshinakushin
Tanite tshe itutaikun an ne eka tshekuan miamitunenitamikuin ?

 Ka inniuian mananuipan kie puamuna takuanipani
Tshitimatshenitakuan ne kassinu tshitinniun, apu nukuaki
Anutshish nitashteieshkushin
Eshk eka natitan nete tshepaukuin.

Ka inniuian miam nekamunanuti minutakuanupan
Teueikan ka utamuakanitaka petakushipan Utinam nenu eka ka petakuannit Tshishisham nenu ka mashkutinnit.

 Ka inniuian anite uashkut mitshetipanat utshekatakuat
Nitinniuinnit tipishkau anite nanikutini uashtenimuat
Nitinniun miam amu-kashiuasht ishpakuan Apu nita tshika ut muk atshakushian.

Née de la pluie et de la terre 

Je suis née de la pluie et de la terre
J'ai grandi dans l'insouciance de mon enfance
Tu es fait de cendres et de poussières
Où te mènera donc ton inconscience ?

Je suis née de larmes et de rêves
Toute la triste vie n'est qu'illusion
Maintenant je fais une longue trêve
Avant de te rejoindre dans ta prison.

Je suis née de sons et de musique
Avec le rythme du tambour ancestral
Qui capture tout silence cynique
Et réchauffe ce froid théâtral.

Je suis née plein d'étoiles dans mon ciel
Elles illuminent ma vie qui parfois se fait sombre
Elles donnent à ma vie un goût de miel
Plus jamais, je ne serai qu'une ombre.

dimanche 7 février 2016

Pleurez, oiseaux de février

Il y a un an, le 22 février 2015, je publiais un premier poème de Emile Nelligan dans lequel il rendait hommage à son père (voir ici). C'était un poète de Montreal, qui a passé plus de temps enfermé que libre : http://emilenelligan.free.fr/histoire.htm

Voici de lui un autre poème pour ce mois de février 2016, écrit vers 1898, c'est-à-dire lorsqu'il avait 18 ou 19 ans :

Soir d'hiver

Ah! comme la neige a neigé!
Ma vitre est un jardin de givre.
Ah! comme la neige a neigé!
Qu'est-ce que le spasme de vivre
À la douleur que j'ai, que j'ai!

Tous les étangs gisent gelés,
Mon âme est noire: Où vis-je? Où vais-je?
Tous ses espoirs gisent gelés:
Je suis la nouvelle Norvège
D'où les blonds ciels s'en sont allés.

Pleurez, oiseaux de février,
Au sinistre frisson des choses,
Pleurez, oiseaux de février,
Pleurez mes pleurs, pleurez mes roses,
Aux branches du genévrier.

Ah! comme la neige a neigé!
Ma vitre est un jardin de givre.
Ah! comme la neige a neigé!
Qu'est-ce que le spasme de vivre
À tout l'ennui que j'ai, que j'ai!...


Poésies, éd. Boreal compact classique, 1996, p. 100