dimanche 29 mars 2015

"La volonté de vivre" de Abou ElKacem Chebbi

 Abou El Kacem Chebbi est un poète tunisien, mort à 25 ans (1909-1934). Il a beaucoup écrit sur la liberté, sur l'amour, sur la résistance. Dans l'un de ses plus célèbres poèmes ("Ela Toghat Al Alaam"), il s'en prend "aux tyrans du monde", amis de la nuit, ennemis de la vie, qui moissonnent les têtes humaines et les fleurs de l'espoir, et qui ne savent planter que des épines.

Dans le poème qui suit, il oppose à tous ces tyrans "La volonté de vivre" :

Lorsqu'un jour le peuple veut vivre,
Force est pour le Destin, de répondre,
Force est pour les ténèbres de se dissiper,
Force est pour les chaînes de se briser.
Avec fracas, le vent souffle dans les ravins,
au sommet des montagnes et sous les arbres

disant :
"Lorsque je tends vers un but,
je me fais porter par l’espoir
et oublie toute prudence ;
Je n’évite pas les chemins escarpés
et n’appréhende pas la chute
dans un feu brûlant.
Qui n’aime pas gravir la montagne,
vivra éternellement au fond des vallées
".

Je sens bouillonner dans mon cœur
Le sang de la jeunesse
Des vents nouveaux se lèvent en moi
Je me mets à écouter leur chant
A écouter le tonnerre qui gronde
La pluie qui tombe et la symphonie des vents.

Et lorsque je demande à la Terre :
"Mère, détestes-tu les hommes ?"
Elle me répond :
"Je bénis les ambitieux
et ceux qui aiment affronter les dangers.
Je maudis ceux qui ne s’adaptent pas
aux aléas du temps et se contentent de mener
une vie morne, comme les pierres.
Le monde est vivant.
Il aime la vie et méprise les morts,
aussi fameux qu’ils soient.
Le ciel ne garde pas, en son sein,
Les oiseaux morts
et les abeilles ne butinent pas
les fleurs fanées.
N’eût été ma tendresse maternelle,
les tombeaux n’auraient pas gardé leurs morts
".

Par une nuit d’automne,
Lourde de chagrin et d’inquiétude,
Grisé par l’éclat des étoiles,
Je saoule la tristesse de mes chants,
Je demande à l’obscurité :
"La vie rend-elle à celui qu’elle fane
le printemps de son âge ?
"
La nuit reste silencieuse.
Les nymphes de l’aube taisent leur chant.
Mais la forêt me répond d'une voix
aussi douce que les vibrations d'une corde :
" 
Vienne l'hiver, l'hiver de la brume,
l'hiver des neiges, l'hiver des pluies.
S'éteint l'enchantement,
Enchantement des branches
des fleurs, des fruits,
Enchantement du ciel serein et doux,
Enchantement exquis des prairies parfumées.
Les branches tombent avec leurs feuilles,
tombent aussi les fleurs de la belle saison.
Tout disparaît comme un rêve merveilleux
qui brille, un instant, dans une âme,
puis s'évanouit.
Mais restent les graines.
Elles conservent en elles le trésor
d'une belle vie disparue...
"

La vie se fait
Et se défait
Puis recommence.
Le rêve des semences émerge de la nuit,
Enveloppé de la lueur obscure de l'aurore,
Elles demandent :
"Où est la brume matinale ?
Où est le soir magique ?
Où est le clair de lune ?
Où sont les rayons de la lune et la vie ?
Où est la vie à laquelle j'aspire ?
J'ai désiré la lumière au-dessus des branches.
J'ai désiré l'ombre sous les arbres"

Il dit aux semences : "La vie vous est donnée.
Et vous vivrez éternellement
par la descendance qui vous survivra.
La lumière pourra vous bénir,
accueillez la fertilité de la vie.
Celui qui dans ses rêves adore la lumière,
la lumière le bénira là où il va."
En un moment pas plus long
qu'un battement d'ailes,
Leur désir s'accroît et triomphe.
Elles soulèvent la terre qui pèse sur elles
Et une belle végétation surgit pour contempler la beauté de la création.


La lumière est dans mon cœur et mon âme,

Pourquoi aurais-je peur de marcher dans l'obscurité ?
Je voudrais ne jamais être venu en ce monde
Et n'avoir jamais nagé parmi les étoiles.
Je voudrais que l'aube n'ait jamais embrassé mes rêves
Et que la lumière n'ait jamais caressé mes yeux.
Je voudrais n'avoir jamais cessé d'être ce que j'étais,
Une lumière libre répandue sur toute l'existence.


Abou El Kacem Chebbi (أبو القاسم الشابي  ), in Les chants de la vie (Aghani Al Hayat). 
Traduction de S.Masliah.

"Poème écrit en 1933.

Poème trouvé sur : http://poussierevirtuelle.over-blog.com/
Sur Abou El Kacem Chebbi : https://fr.wikipedia.org/wiki/Abou_el_Kacem_Chebbi
 

dimanche 22 mars 2015

Le poète est un ouvrier

C'était le 17ème Printemps des poètes. Il en a fait l'affiche : Vladimir Maïakowski, poète russe né en 1893 et mort le 14 avril 1930.

 Le poète est un ouvrier et le chercheur aussi:
Rencontres Lascaux à Nantes les 26 et 27 mars : Territoires, ressources naturelles et sécurité alimentaire
 


Le poète est un ouvrier
On gueule au poète :
« On voudrait t’y voir, toi, devant un tour !
C’est quoi les vers ?
Du verbiage !
Mais question travail, des clous ! »
Peut-être bien
en tout cas
que le travail
est ce qu’il y a de plus proche
de notre activité.
Moi aussi je suis une fabrique.
Sans cheminée
peut-être
mais sans cheminée c’est plus dur.
Je sais, vous n’aimez pas les phrases creuses.
Débiter du chêne, ça, c’est du travail.
Mais nous
ne sommes-nous pas aussi des menuisiers ?
Nous façonnons le chêne de la tête humaine.
Bien sûr,
pêcher est chose respectable.
Jeter ses filets
et dans les filets, attraper un esturgeon !
D’autant plus respectable est le travail du poète
qui pêche non pas des poissons
mais des gens vivants.
Dans la chaleur des hauts-fourneaux
chauffer le métal incandescent
c’est un énorme travail !
Mais qui pourrait
nous traiter de fainéants ?
Avec la râpe de la langue, nous polissons les cerveaux.
Qui vaut le plus ?
Le poète
ou le technicien
qui mène les gens vers les biens matériels ?
Tous les deux.
Les cœurs sont comme des moteurs,
l’âme, un subtil moteur à explosion.
Nous sommes égaux,
camarades, dans la masse des travailleurs,
prolétaires du corps et de l’esprit.
Ensemble seulement
nous pouvons embellir l’univers,
le faire aller plus vite, grâce à nos marches.
Contre les tempêtes verbales bâtissons une digue.
Au boulot !
La tâche est neuve et vive.
Au moulin
les creux orateurs !
Au meunier !
Qu’avec l’eau de leurs discours
ils fassent tourner les meules !

Vladimir Maïakovski,
Ecoutez si on allume les étoiles, Le Temps des Cerises. Poésies choisies et traduites du russe par Simone Pirez et Francis Combes.