dimanche 27 novembre 2016

credo minuscule


Une fois n'est pas coutume : un petit texte sans prétention pour l'anniversaire et la fête de qui je sais.
Avec, en prime, un petit extra sur France culture de 9h42 à 10h (en direct ou en replay).


Je crois en un Créateur de l'univers et à rien d'autre que ça. J'accepte de ne rien savoir de ce qu'Il est, de ce qu'Il veut, du lieu d'où Il vient, de son temps, de sa solitude et de ses attentes. Il n'avait qu'à être plus explicite. 

Je ne connais pas ses commandements. Je sais seulement que c'est Lui qui a inventé la loi de Hubble, celle de Planck, celle de Newton, celle de Einstein et quelques autres.

Dit-on à un enfant "tu dois trouver toi-même le chemin" ? Sans lui apprendre à marcher, à lire, à comprendre ce qui lui arrive et dans quel temps il vit ? 

Je crois en un Créateur des étoiles qui a éternué l'univers par inadvertance ou  Dieu sait quoi! Car ce n'est pas rien d'avoir produit Rigel et Bételgeuse. Mais pourquoi n'en avoir rien dit à personne ?

Je crois en un Créateur de ce qui a permis la survenance des planètes, parce qu'avec toutes les lois qu'Il avait inventées, Il ne pouvait pas ignorer ce que cela donnerait. Nul n'est censé ignorer ses propres lois.

Je crois en un Créateur qui savait très bien quels étaient les risques de créer la Terre et nous par là-dessus. Peut-être même savait-Il qu'on se raconterait des histoires pas croyables à son propos et qu'on Lui inventerait des vies, des intentions, des règles et toutes sortes de choses pour nous tenir sages en nous occupant l'esprit.

Je crois en un Créateur qui savait parfaitement que je naîtrais un jour parce qu'Il avait inventé les jours et les nuits et que, connaissant tant de lois, Il savait forcément compter jusqu'à chacun de nous et jusqu'à moi.

Je crois en un Créateur qui pouvait se douter qu'Il sèmerait la pagaille et la souffrance chez les hominidés de la Terre du système solaire de la galaxie de la voie lactée. La présomption d'innocence a bon dos!

Je crois que le Créateur a aussi permis la comptabilité en partie double, nous laissant mettre les salariés au passif du bilan en réservant pour l'actif les immeubles et les brevets qui s'approprient le vivant. Était-ce pour nous mettre à l'épreuve ou pensait-Il que ça n'arriverait pas ? Je crois qu'Il a laissé créer des multinationales anthropophages qui deviennent des monstres sans foi ni loi. Je crois qu'il a créé le capital et ses intérêts. Mais je crois finalement qu'Il est tout à la fois Capital et sans Intérêt(s).

Mais alors, c'est Lui qui aurait aussi créé le cheval de Pechmerle et la licorne de Lascaux ? 

Et surtout tu es là, avec moi. 

dimanche 20 novembre 2016

Suppositions au sujet de Barrabas

Zbigniew Herbert (1924-1998) est un poète polonais qui aura vécu l'essentiel de sa vie en passant de la seconde guerre mondiale au régime communiste qu'il considérait comme un totalitarisme aussi nuisible que le nazisme. C'est dire que sa vie n'a pas été un long fleuve tranquille. Comment dire la vie, le monde quand il faut s'exprimer sous le joug et qu'on est d'une génération "qui a traversé l'apocalypse pour se retrouver captive" ?



Suppositions au sujet de Barrabas

Qu'est devenu Barrabas ? J'ai demandé nul ne sait
La chaîne lâchée il sortit dans la rue blanche
il a pu prendre à droite aller tout droit prendre à gauche
tourner en toupie lancer un joyeux chant du coq
Lui l'Empereur de ses mains de sa tête
Lui le Despote de sa respiration

J'interroge car en quelque sorte j'avais pris part à l'affaire
Attiré par la foule devant le palais de Pilate j'avais hurlé
avec les autres libère Barrabas Barrabas
Tous criaient si j'étais seul resté silencieux
tout ce qui devait advenir serait de même advenu

Et lui Barrabas revint peut-être vers sa bande
Dans la montagne il tue vite il pille avec soin
Ou bien il a maintenant un atelier de potier
et le limon créateur
purifie ses mains souillées de crime
Il est porteur d'eau conducteur de mules usurier
propriétaire de navires - l'un d'eux porta Paul vers Corinthe

ou bien - ce n'est pas à exclure -

il devint un indic fort apprécié des Romains

Regardez admirez le jeu étourdissant du destin
ô potentialités ô sourires de la fortune

Et le Nazaréen
resta seul
sans alternative
au sentier
abrupt
de sang

Z. Herbert, "Redresse-toi et va", Choix, traduction du polonais et présentation par Jacques Burko, Orphée, La Différence, 1995


dimanche 13 novembre 2016

See you down the road



« Longtemps, longtemps, longtemps Après que les poètes ont disparu Leurs chansons courent encore dans les rues »
C’est sans doute vrai des chansons-poèmes de Léonard Cohen (1934-2016) qui a rejoint Marianne avec laquelle il avait rendez-vous au bout du chemin.
Quelques heures avant sa mort, Marianne, qui vivait en Norvège, avait fait prévenir Léonard Cohen à Montréal où il habitait. Celui-ci, dans les heures qui ont suivi, a écrit et envoyé une dernière lettre à celle qu’il avait rencontrée quand ils avaient une vingtaine d’années et avec laquelle il a longtemps vécu. Léonard a maintenant rejoint Marianne.Voici cette dernière lettre (en français puis en anglais)






«Voilà Marianne nous sommes arrivés au point où nous sommes si vieux, nos corps tombent en lambeaux, et je pense que je te rejoindrai bientôt. Sache que je suis si près derrière toi, que si tu tends la main tu peux atteindre la mienne.
Et tu sais que j’ai toujours aimé ta beauté et ta sagesse et je n’ai pas besoin d’en dire plus parce que tu sais tout cela. Je veux seulement te souhaiter un très beau voyage. Au revoir ma vieille amie. Mon amour éternel. Rendez-vous au bout du chemin.»




“Well Marianne it’s come to this time when we are really so old and our bodies are falling apart and I think I will follow you very soon. Know that I am so close behind you that if you stretch out your hand, I think you can reach mine.
And you know that I’ve always loved you for your beauty and your wisdom, but I don’t need to say anything more about that because you know all about that. But now, I just want to wish you a very good journey. Goodbye old friend. Endless love, see you down the road.”

dimanche 6 novembre 2016

Alouette! Prends mon âme!

Federigo Tozzi (1883-1920) est un écrivain, nouvelliste, poète italien qui a notamment écrit, entre 1915 et 1917, une série de 69 fragments de proses qui ont comme point commun la présence d'un animal au cœur ou à la périphérie du récit, tantôt premier rôle, tantôt second. En réalité, ce sont presque 69 émotions que Tozzi nous présente un peu comme s'il en tenait le journal. Le premier et le dernier fragments font place à l'alouette. Ils sont l'un avec l'autre ce qui donne sens au "journal des émotions" de l'auteur. Voici le 1er fragment, pour vous inciter à découvrir par vous-mêmes les 68 autres.




Quel pourrait être le point où l'azur s'est arrêté ? Ces alouettes, qui d'abord s'y ébattent pour venir ensuite se jeter près de moi comme des folles, le savent-elles ? Fuyant, l'une d'entre elles a même rasé mes yeux, comme si elle avait pris du plaisir à se faire peur de cette façon.

Quelles clartés tranquilles par ces campagnes, qui s'étendent afin d'être mieux à leur aise! Là, quels silences, depuis l'horizon, et en moi-même!

La route pour revenir à Sienne est là. Je me mets en marche.

Que les maisons se reculent un peu, et que ce mendiant ne me tombe pas dessus. L'autre est au moins assis par terre! Mon Dieu, toutes ces maisons! Plus loin, plus loin! J'arriverai où trouver un peu de douceur!

Mon Dieu, ces maisons se jetteront sur moi! Mais une autre alouette est restée enfermée dans mon âme, et, à la recherche d'une issue, je la sens voleter en tous sens. Et je l'entends chanter.
Vers le septentrion ; où, la nuit, l'ourse se tient, là où la lune ne va jamais!

Maintenant, si moi aussi je t'aime ainsi, Ô petite alouette, cela veut dire que tu peux rester dans mon âme autant que tu le voudras ; et que tu y trouveras plus de liberté que tu n'en a vue dans l'azur. Et toi, certes, tu ne t'en iras jamais plus.

Tu ne fais pas même de l'ombre!

Nous sortons du resserré des maisons et des toits. La ville se referme toujours davantage ; les maisons sont de plus en plus vides ; et nous n'y trouverons rien pour nous.

Laissons-les, ici, ces gens qui nous mettraient moi à l'asile et toi dans une cage!

Qui tremble, tes ailes ou mon cœur ? Je crois que la mort est passée, à la recherche de sait-on qui. Oh, mais nous l'enfermerons avec les ordures, derrière l'une de ces grilles, dans une de ces ruelles sans issue! A Sienne, on trouve de ces grilles que personne n'ouvre jamais, parce qu'elles ne servent plus à rien ; au fin fond de certains jardins que personne ne cultive plus ; contre certains bâtiments inhabités.

F. Tozzi, Les Bêtes, trad Ph. Di Meo, José Corti, Biophilia, 2012